De la construction intergénérationnelle…

« Vieillir est encore le seul moyen qu’on ait trouvé de vivre longtemps » disait Sainte-Beuve.

Et si vieillir était plus que ça…? Pouvons-nous envisager l’apport des sénior.e.s comme une clé à une construction sociale forte, performante ? Et si nous considérions les plus ancien(ne)s d’entre nous autrement que comme une énième contrainte venant empiéter sur notre bien-être ? Prendre le temps du développement intergénérationnel, serait-ce un maillon manquant à une évolution plus apaisée ?

Cela vous apparaît compliqué…? Réfléchissons-y avec réalisme et optimisme. Ouvrons le champ des possibles.

Quel état des lieux ?

Commençons par faire un focus sur notre démographie actuelle. En France, les personnes âgées de 65 ans représentaient 1/5 de la population en 2020. Elles en représenteront 1/4 en 2040, et près de 30 % à partir de 2050. Dans le même temps, les moins de 20 ans représenteront 21 % de la population.

C’est un fait. Nos sociétés vieillissent et cette évolution démographique concerne à la fois les pays développés et les pays dits émergents. En 2018, pour la première fois dans l’histoire du monde, les plus de 65 ans étaient plus nombreux que les enfants de moins de 5 ans.

Plus tangiblement, illustrons ces propos de la montée en âge, par la situation de la génération de mai 1968. Ces flamboyant.e.s soixante-huitard.e.s qui, en leur temps, ont bousculé la société… Ils/elles se dirigent vers le grand âge. Pourtant, vous en conviendrez, « vieux » n’est nullement le terme qualifiant ces nouveaux et nouvelles sénior.e.s, qui, revisitent et réinventent la vision dominante de la vieillesse.

Finis les clichés de la Mamie, toujours disponible pour ces descendant.e.s, qui occupait son temps libre au tricot et enfournait les gâteaux avec sourire et habileté… ou du Papi douillettement installé dans son fauteuil, charentaises au pied et télécommande à la main… Nos sénior.e.s sont désormais bien éloigné.e.s de cela !

Ils/elles sont sportif(ve)s, globe-trotters, chef(fe)s d’entreprises… Regardons autour de nous. Ils et elles sont nos piliers du quotidien : celles et ceux qui nous secondent dans l’éducation de nos enfants ou qui nous accueillent après un « accident de la vie ». Ils/elles sont le socle des mouvements associatifs et bénévoles. Ils/elles sont dirigent nos territoires politiquement ou économiquement. Ce sont d’ailleurs les principaux(ales) décideur(se)s… omniprésent.e.s diront certain.e.s.

Mais pourquoi sont-ils/elles si présent.e.s dans la vie active ?

Un rapport de février 2023, du Haut-Commissariat au Plan… (oui. Ça existe !) donne des pistes. Il fait notamment état de l’avancée de la médecine qui maintient en bonne santé dans l’avancée en âge, de la silver economy qui répond à leur besoins en services et équipements d’assistance…

Du point de vue psychologique, on pourrait évoquer la peur d’un isolement social, et l’inquiétude d’avoir trop de temps, qui peuvent tous deux générer des angoisses…

Dans les départements dits d’outre-mer, nous pouvons avancer une autre réalité prégnante : la nécessité de travailler au-delà de l’âge légal de départ à la retraite pour atteindre une retraite à taux plein (64,7 ans en Martinique). En Martinique, 9% des retraité.e.s sont exposé.e.s à une grande pauvreté contre 1% dans l’hexagone. Évoquons également la distance géographique entre des sénior.e.s pleins d’énergie et leurs enfants étudiant.e.s et/ou expatrié.e.s, pour qui ils et elles sont souvent des soutiens financiers…

Je m’arrête ici dans l’énumération des probabilités de causes. Je suis cependant certaine que vous en avez encore quelques-unes en tête.

Mais ce maintient en activité porte des conséquences…

Si tout un chacun peut entendre les raisons de leur maintien en activité, la difficulté réside en la place laissée aux générations suivantes, qui légitimement, veulent construire, innover, changer de paradigme, se réaliser dans un monde en constante évolution, dont les codes et les enjeux semblent échapper à nombre de nos aîné.e.s.

C’est ainsi que, souvent, ici ou ailleurs, nous déplorons des investissements publics ou privés, des constructions… découlant de décisions perçues par nombre d’entre nous, décorrellées de la réalité, de nos nouveaux modes de vie, de nos besoins, de l’urgence environnementale…

Éclairages sur les écarts générationnels

Rendons nous compte de la singularité de la période que nous vivons. Au sein de nos familles, dans l’éducation, au travail, dans nos loisirs… 5 générations cohabitent désormais :

Les Baby-boomers né.e.s entre 1946 et 1964 : « Quand ils sont nés, qu’ils ont grandi, des fées se sont penchées sur leur berceau. Quatre fées, la paix, la prospérité, le plein-emploi et la croyance dans le progrès. Ce n’est pas une formule, c’est la réalité » . C’est ainsi que les décrivait l’historien Jean-François Sirinelli
Les Baby bust ou génération X née entre 1965 et 1979 : C’est une génération « oubliée », sur laquelle peu d’études ont été effectuées. À l’inverse de leurs « chanceux » parents, ils/elles ont connu plusieurs chocs pétroliers et ont également été témoins des premières grandes vagues de chômage.
Les Millennials ou génération Y née entre 1980 et 1994 : Beaucoup étudiée, cette génération a grandi avec internet et se distingue notamment par son rapport au travail. Elle accorde une grande importance à l’éthique et « attend bien plus des entreprises qu’il y a 50, 20 ou même 10 ans de cela », selon Alain Pons. Elle se démarque aussi par son dynamisme et son indépendance.
Les Centennials ou digital natives, la génération Z née entre 1995 et 2009 : « Leur manière d’être, à la fois connectée, horizontale et créative innerve tout dans notre société. Ils sont en train de changer la manière de travailler, de voyager, d’apprendre, de consommer » écrivait à leur sujet le philosophe Michel Serres.
La génération génération verre ou Alpha née après 2010 : Ses parents sont particulièrement digitalisés et les écrans sont omniprésents autour d’elle. Si tous les membres de cette génération ne sont pas encore nés, les pronostics vont déjà bon train sur leur avenir, leurs comportements et les défis qu’ils auront à affronter. Pour le chercheur en sciences sociales Mark McCrindle, ce sera « la plus instruite, la plus connectée et, globalement, la plus riche de tous les temps ». Le sociologue Rémy Oudghiri estime, quant à lui, que les Alphas « auront une relation différente au savoir et sans doute plus utilitaire et opportuniste », évoquant une « génération du futur » qui « devra réinventer le rôle des humains, en se posant la question de ce qu’est un humain ».

Alors comment faire ?

Vous l’aurez compris, nous n’avons donc d’autre choix que d’avancer ensemble. Il n’y a pas de recette magique, de potion du vivre ensemble.

Quelques pistes néanmoins : faire preuve d’écoute, d’humilité, d’altérité pour aller vers une construction intergénérationnelle humaine et efficace. Chacun.e de nous, quelque soit son année de naissance a des compétences à apporter et des valeurs à porter. Désormais, notre challenge réside en notre aptitude à bâtir des ponts entre nous, à faire taire des ego exacerbés, à communiquer, à (ré)inventer nos manières de faire, à transmettre nos savoirs, à partager des savoir-faire séculaires, à concevoir autrement, dans le respect du vivant, donc de nous-même.

Dans quel contexte ?

Si vous doutez encore de l’impériosité de nous retrousser les manches, je vous invite à jeter un oeil sur les statistiques démographiques.
D’ici à 2050, en Guadeloupe, en Martinique comme sur le continent européen, le seul grand remplacement qui aura lieu consistera en celui des jeunes par des sénior.e.s ! En France, 11,6% des jeunes âgés de 15 à 29 ans sont dits NEET : ni en emploi, ni en études, ni en formation (26% en Martinique). Peut-être leur serait-il bénéfique d’avoir un accompagnement de sénior.e.s disponibles, expérimenté.e.s, volontaires…?

Les projections de l’INSEE avancent une espérance de vie comprise entre 90 et 96 ans pour les femmes et 83 à 87 ans pour les hommes, en 2050. À cette même date, l’âge médian de la population française pourrait atteindre 46 ans au lieu de 42 actuellement (contre 32 ans en 1970). En Martinique, cette projection est d’ores et déjà une réalité puisqu’en 2020, l’âge médian était de 45,7 ans.

Ajoutons-y les effets d’une réforme des retraites nous projetant à un départ à la retraite autour de 68 – 70 ans, du fait notamment de l’allongement des études supérieures, des carrières hachées, du fort taux de chômage et du tissu économique fragile dans les départements d’outre-mer… Vous visualisez notre avenir pas si lointain…?

Plus que jamais, et face à cette dégression avancée, les notions d’âgisme ou de jeunisme ont-elles encore droit de citer dans notre société… ? Fok-nou kolé tèt, kolé zépol ek mété zong an tè !

Êtes-vous prêt.e.s ?
Ensemble, oeuvrons à cette recherche d’équilibre dans nos territoires, nos villes, nos quartiers. Menons des actions transverses, inclusives, intergénérationnelles et qui transcendent l’intelligence collective.